Descubre la obra contemporánea de Didier Vallé
L’homme à l’affût
Regarder une toile de Didier Vallé, c’est être happé par une composition d’une précision inouïe. Puis un sentiment d’étrangeté nous submerge… Est-ce une sorte de pénitent ? Un illuminé ? Pourquoi mettre autant de talent et d’énergie pour peindre une réalité qu’un appareil pourrait photographier en un instant ?
La réponse se trouve dans le regard qu’il pose autour de lui et dans le cheminement de sa vie.
Enfant, il frétille quand son instituteur lui demande de dessiner un marron... Tracer l’esquisse lui procure une jubilation intense : le virus est inoculé. Il est aux anges quand ses parents lui offrent quelques crayons de couleur, il ne va plus les lâcher. Très à l’aise avec les espaces, les décors, il recopie des cases de Tintin, Astérix et ses cartes de géographies sont ses premières œuvres d’art. Au collège, il retranscrit son cours de musique à l’intérieur d’une silhouette de violon. Sidéré, son prof fait passer le classeur dans tout l’établissement. Il obtient le concours d’entrée à l’école d’arts appliqués Élisa Lemonnier, préfère les études documentaires aux croquis de nus. L’objet est toujours au centre de son intérêt. Les vibrations se décuplent quand il est abîmé, rouillé. Il aime les altérations qui se forment au coin des choses, amasse tout un bric-à-brac sans savoir pourquoi. C’est sûr, un jour, il en fera quelque chose...
Il devient graphiste dans la pub. Cette nouvelle profession n’assouvit pas sa fascination pour les matières et leurs bouillonnements… Il se met à peindre des chaussures, des cabines de plage ou des cerfs-volants et donne toutes ses toiles. Les codes artistiques du Pop Art l’influencent, cadrages serrés et motifs graphiques sont exploités dans deux nouvelles séries de "tableaux de bord" et de "formules 1" dans lesquelles rien n'est dédaigné par son œil. À la manière d'un entomologiste, il s’attache à répertorier chaque détail, chacune des mille et une facettes de l’acajou, du métal ou du cuir qui nourrissent les fantasmes des amateurs de voitures d’exception. Il s’essaie au collage, est repéré par la galerie Vitesse à Paris qui expose pour la première fois son travail.
Il s’installe à Bordeaux. Des compteurs de voitures, il passe aux cadrans de montres. Les détails l’obsèdent, peuplent ses jours et même ses nuits. Il peint des singes pour "se reposer", trouver chair et rondeur dans cet univers sans corps. Sa peinture impressionne Rosema de la galerie G62, la plupart de ses toiles y seront vendues durant le mois d’avril 2010 .
Il déménage son atelier dans le quartier de la Grosse Cloche. L’oxydation d’un guidon de vélo, un rayon de soleil traversant l’osier d’un cannage continuent de le garder à l’affût. Le moindre recoin de réalité est criblé, transpercé par son regard. Il est saisi par les structures et les lignes du mobilier urbain, renversé par les fibres d’un sac plastique polluant la mer.
L’œuvre d’un pénitent ? Peut-être, mais accomplie dans la joie. Celle d’un illuminé ? Par l’éclat d’une lueur à travers une vitre, par la brillance d’une substance, c’est certain. Les chaises empilées deviennent sa nouvelle obsession. Il capte la beauté de ces installations éphémères dans les bistrots du petit matin ou les salles de réunions les plus austères. Tressage du plastique, usure du métal, ombres portées… On ressent chez l’artiste une nécessité presque physique d’attraper la matière et de la mettre en scène. Son besoin de reproduire la forme, la couleur et la lumière imprègne ses toiles d’un engagement total. En retour le tableau restitue lentement cette recherche, une façon de s’approprier le monde et de combler le fossé entre l’art et la vie. Un travail salué par une vente aux enchères parisienne en octobre 2019.
Dans le cadre de son tricentenaire en 2020, Lefranc-Bourgeois a choisi Didier Vallé comme l’un des ambassadeur de sa marque.
Anne Samuel
Auteur - Biographe