Descubre la obra contemporánea de Fabrice MILOCHAU
Le cœur de ma démarche d’artiste est basé sur notre rapport au réel et à la vérité visuelle ; voir c’est croire, et nos yeux sont les clefs de ce que nous admettons comme vrai ou fantaisiste, objectif ou subjectif… Dans ce domaine, une photographie prend un caractère sacré : par son extrême acuité, elle nous semble toute puissante pour montrer et témoigner de ce qui est vraiment. En qualité de photographe, je n’ai eu d’autre but que d’utiliser la photographie pour exprimer mes émotions et ma façon d’aimer le monde. Il s’agit donc bien d’une expression personnelle et infiniment subjective. Photographier c’est choisir sans cesse, parmi l’univers, ce qui entre dans notre prisme émotionnel ou intellectuel. Comme une toile ou une sculpture, une image reste une création, et son apparente objectivité n’est qu’une illusion. Par ce qui est montré, on ne voit pas ce qui est, mais ce qu’une personne a jugé bon de nous indiquer avec tous les choix techniques et artistiques à sa disposition. Nous percevons, par son regard, un morceau du monde et du temps, comme il nous oblige le percevoir. Pire encore, notre propre subjectivité nous renvoie à des références qui n’appartiennent qu’à nous et nous reconstruisons cette première subjectivité dans une seconde qui est la nôtre… Pour désacraliser cette illusion de vérité photographique j’ai choisi d’utiliser mes propres photos comme une matière première, brut et malléable à souhait. Je les tords, j’en change la texture, le grain, les couleurs, les assemble, les sépare, les recompose. Je sculpte l’illusion du réel pour l’inscrire dans une nouvelle réalité pleinement créative, parfois une pure abstraction. Par cette démarche je veux matérialiser le travail de chacun de nos inconscients et la reconstruction que notre esprit fait de chaque parcelle du « réel ». Je cherche à rendre visible le cheminement de la non-vérité qui nous habite en permanence. Contrairement à la majorité des arts plastiques majeurs que sont la peinture ou la sculpture, je ne pars pas de l’informe : les pigments, la terre, le métal, et toutes les autres matières premières de l’artiste sont habituellement sans forme initiale, à l’exception des objets manufacturés de récupération… de l’informe naîtra alors l’œuvre ou le chef d’œuvre, et le créateur utilisera une matière, une texture, des couleurs qui, sans son intervention, resteraient sans valeur artistique initiale. L’œuvre sort alors du néant et de la banalité de ses matériaux. Mes créations, elles, partent volontairement d’une première forme généralement reconnue pour être « belle » et qui génère des émotions : des photographies de paysages sauvages ou urbains, quelques portraits, le tout fruit d’un travail de photographe professionnel que le public reconnaît comme talentueux ou pertinent, que des magazines, des éditeurs souhaiteront acquérir et valoriser dans leurs publications, ou que des galeries souhaiteront exposer… En utilisant cette première forme, illusion de la réalité propre au support photographique, je veux montrer que l’on peut obtenir autant d’autres « réels » que l’on veut par le simple prisme de la créativité et des émotions projetées. Ce que je matérialise en sculptant mes propres images, c’est une allégorie de ce que chaque esprit fait avec non seulement n’importe quelle photographie, mais aussi l’ensemble de ce que nous considérons être la réalité du monde : de la forme naît d’autres formes. Tout ce qui entre dans nos têtes est malaxé, filtré, recomposé comme je l’exprime dans ma démarche d’artiste. Bien entendu, la forme est la mienne, mes créations sont clairement positionnées comme du domaine de « l’art », avec toute la codification du genre, mais la démarche est universelle. Enfin, je tente de rendre palpable la notion de temps inhérente à toute émotion et à toute photographie dont le propos est de figer les choses. Toutes les perceptions humaines s’inscrivent dans une temporalité, des instants successifs qui ne sont jamais identiques. Ce qui est perçu maintenant le sera différemment la minute d’après. C’est encore un paramètre supplémentaire qui renforce l’extrême fragilité du concept de réalité et d’objectivité ; car ces notions sont invariablement associées à l’idée de permanence. Le temps modifie toute chose de ce monde, et toute réalité figée est par la même suspecte. Le temps sculpte lui aussi. J’aborde ce facteur-temps par des séquences de couleurs ou des distorsions, mais aussi par des inclusions de vides ou de « parasites »…F. Milochau