Descubre la obra contemporánea de Philippe CHITARRINI
Ma démarche artistique J’ai abandonné toute forme de figuration, si éloignée fut elle du modèle, pour me consacrer pleinement à un art abstrait épuré, radical, proche du minimalisme. Le motif principal de mes oeuvres reste le carré que je décline à l’infini en jouant sur les lignes, les couleurs et les limites mêmes du support. Un motif qui souvent s’absente pour laisser place à l’espace vide d’une forme ou d’une contre-forme. Articulé à partir d’un vocabulaire formel réduit - figures géométriques basiques, lignes et aplats de couleurs étales - mon travail passe par l’impersonnalité de sa facture pour tenter de matérialiser sa propre présence au monde. Il ne renvoie qu’à lui-même. Ma démarche artistique est bâtie sur la création d’une réalité destinée à s’intégrer comme telle dans une autre réalité visuelle, celle-ci plus vaste et moins organisée. C’est sans doute ainsi que mes couleurs et mes matières peuvent avoir une identité concrète et que la frontière entre le mode sculpture et le mode peinture est pour moi actuellement brouillé. Extraits choisis Ce n’est que lorsque j’ai commencé à peindre mes premières toiles que j’ai compris plus nettement où j’allais. Je m’occupais enfin de peinture et uniquement de peinture. Je me sentais libéré et en accord avec moi-même. Couche après couche, toiles après toiles, le plaisir de peindre ... rien d’autre. Ma peinture ne cherche pas à représenter quoi que ce soit ni à faire référence à quelque chose. Elle ne renvoie à rien d’autre qu’à elle-même. Mes recherches sur la couleur m’ont permis une ouverture sur le monde extérieur. Mon travail a naturellement évolué pour devenir pleinement lié à l’espace voire même à l’architecture. Philippe Chitarrini, transformer l’espace Qu'un jeune artiste soit tenté de peindre des monochromes cinquante ans après Yves Klein, Aurélie Nemours ou Sol Lewitt pourrait paraître étrange. Et pourtant, le fait de reprendre la balle au bond des "monochromistes" ou des minimalistes, tout en étant un hommage appuyé, diffère par son désir d'architecture. Ce n'est plus, comme avant, le choc d'un tableau d'une seule couleur accroché à un mur qui se joue là, mais la prise en compte du mur transformé par la touche de couleur... Que dis-je du mur ! Du lieu tout entier !!! Dans une autre série, des volumes sombres à la Malévitch se tendent, se déforment et s'étirent vers les bords du tableau, créant des sortes de plans d'habitation non détaillés. Il y a là encore comme une envie de construire, de sortir du cadre, d'envahir l'espace... Roland Botrel Monaco, Mars 2017 Roland Botrel est collectionneur d’art (collection LGR) et critique d’art Philippe Chitarrini, l’expérience-couleur Le travail récent de Philippe Chitarrini privilégie l’abstraction construite avec une prédominance dans les recherches d’accords de couleurs. L’usage de la couleur doit s’entendre ici au sens large de matière pigmentaire déposée sur un support, ce qui n’exclue de fait ni le gris, souvent associé à des surfaces aux teintes vives comme Sans titre (rose vif, gris moyen) - 2017, ni le noir Sans titre 8 - 2016. Deux orientations marquent actuellement les recherches de cet artiste : la tentation du monochrome et celle de la spatialisation ambiguë de figures géométriques simples. La première recherche conduit Philippe Chitarrini à accrocher traditionnellement sur un mur ou à installer au sol, donc horizontalement disposées sur des chevrons de bois, des toiles d’une même couleur. Surtout lorsqu’il s’agit de monochrome, l’expérience-couleur est vécue par le peintre d’abord, et le regardeur ensuite, dans le dépassement de la présence physique des éléments matériels des œuvres. Ce qui importe va au-delà de la rencontre visuelle concrète, l’essentiel est dans la manifestation phénoménologique. Le dispositif scénique est à la fois simple et élaboré. L’artiste a bien compris que la présence de la couleur est d’abord liée à sa présentation. Bien que perçu par des données physiques, l’espace volumique de la couleur est fictionnel, imaginaire ; la couleur peinte est avant tout un paradoxe visuel, elle ne possède pas la stabilité des formes dessinées. Le peintre sait que la couleur n’est pas donnée une fois pour toutes. La couleur est une donnée visible susceptible de modification en fonction de l’environnement (contexte, éclairage, etc.). C’est pourquoi Philippe Chitarrini travaille ses toiles monochromes avec des matières picturales différentes produisant des aspects de surface variés que les cartels précisent « acrylique et glycéro sur toile » ou « acrylique mate et laque brillante ». Pas de mono orientation colorée chez cet artiste, une série sera vert vif et une autre orange vif, d’autres toiles mettent en avant le bleu moyen. Cela permet, dans l’exposition, aux visiteurs de se laisser attirer par telle ou telle teinte. Certaines couleurs attisent votre curiosité, mieux, elles vous sollicitent pour le plaisir. La couleur marque le désir, signale la passion non pas pour elle-même mais pour quelque chose qu’elle présentifie ou qu’elle symbolise. La couleur est peut être là pour rappeler qu’il existe d’autres jouissances que celle de l’esprit. Le monochrome est une des pratiques expérimentées par les artistes abstraits contemporains qui choisissent de réduire leur palette à une couleur, Philippe Chitarrini joue de cette histoire. Les titres indiquent des monochromies mais le visiteur constate les variations notables des effets obtenus. Les toiles se divisent et les déplacements des regardeurs leur font constater des écarts dans les perceptions suivant leur position. Les parties brillantes reflètent l’environnement et la silhouette du spectateur se distingue parfois lorsqu’il fait face. Les peintres de la couleur savent que la qualité de la couleur dépend du nombre de couches accumulées, de la qualité du support et de la texture de la matière picturale. Sur ces aspects techniques les œuvres de Chitarrini sont remarquables. Les surfaces où les traces d’exécution sont visibles sont là pour montrer la possible dichotomie. Si Philippe Chitarrini installe des écarts visuels dans une même couleur et il ne se prive pas par ailleurs de jouer des effets produits par la juxtaposition des teintes variées. Une couleur ajoutée à côté d’une autre, modifie la perception colorée mais aussi l’interprétation spatiale des plans. Dans la série Sans titre (Pantone) – 2017, la simple division de ces petites toiles (20 x 20 cm) en deux par une droite joignant les milieux de deux côtés opposés du carré, installe des effets d’espace entre les deux rectangles en fonction des teintes choisies, leur saturation ou leur luminosité. L’artiste a choisi de poser ce rose au-dessus de cet orange. Il réussit ainsi à éviter la rupture de l’effet de surface puisque ces deux teintes ont une valeur de gris approchante. On notera que cet accord a particulièrement séduit l'artiste puisqu'il en a fait la couverture de son document d'artiste. Dans tous les autres assemblages de la série l’un ou l'autre des rectangles vient légèrement en avant et ce indépendamment du choix d'une peinture mate ou brillante. Les différences sont souvent ténues et la distinction des avancées spatiales peut paraître incertaine. D’autres séries, comme la Série ouverte : Sans titre - 30 x 24 cm - 2016, font jouer des illusions de battements d’espaces en fonction des couleurs choisies pour les deux figures découpées superposées sur le fond coloré. Les valeurs lumineuses et les saturations provoquent les attirances entre les teintes qui perturbent la logique de la géométrie : le rouge attiré par le rose du fond s'enfonce dans celui-ci dans la partie supérieure de l'œuvre tandis qu'il reste en avant du rectangle vert dans la partie inférieure créant ainsi une perception ambiguë. La simplicité de ses peintures n'est qu’apparente. On comprend qu’il faut s’arrêter un moment devant chaque peinture pour apprécier les effets différenciés. Qu’elles soient juxtaposées ou imbriquées, il y a dans ces œuvres colorées un balancement persistant entre l’optique (le phénomène physique) et l’haptique (le lieu d’inscription d’un désir). Philippe Chitarrini travaille à installer un " lieu visuel " que Didi-Huberman oppose à l’espace visible lorsqu’il parle des travaux de James Turrell : " Il faut penser le lieu visuel par-delà les formes visibles qui circonscrivent sa spatialité, il faut penser le regard au-delà des yeux, puisque aussi bien en rêve nous regardons les yeux fermés 1". Le réel de la peinture s’appréhende au-delà de la surface et des données physico chimique, dans une distance subjective, favorisée par un arrêt du temps lors du moment du regard face à l’œuvre. Les peintures de Philippe Chitarrini attirent le spectateur par des jeux savants de couleurs et de formes jusqu’à provoquer une série de réflexions. La couleur est privilégiée à la fois comme élément matériel de l’œuvre et comme processus générateur de la plasticité. Ces réalisations ne sont pas faites pour devenir intelligibles mais pour être des exemples sensibles, plus du côté sensuel et du changement que de l’intellectuel et de l’immuable. Jean Claude Le Gouic Mars 2017 Jean Claude Le Gouic est professeur d’université à Aix-en-Provence et critique d’art 1 Georges Didi-Huberman, L'homme qui marchait dans la couleur, Editions de Minuit, 2001, p. 58.